Destin de site, destin de vie
Il y a 30 ans sortait le 22 mars le livre "aux origines de Lyon" de Christian Goudineau † et de Bernard Mandy †, relatant les dernières découvertes des premières traces tangibles d'une occupation du site de Fourvière antérieure à l'occupation romaine dont pour une part j'en assume la paternité, le 28 mars de la même année retour en archéologie comme terrassier... le 10 septembre 1989 mon engagement en peinture.
Le 1er avril 2019 sortie publique " de l'archéologie à l'art qui est au logis", comme un poisson dans l'eau.
lien vers le livre / https://fr.calameo.com/read/0003615042cb810cfbafe
le 2 avril 2019 conférence aux archives de Lyon de Michel Lenoble à propos de l'atlas topographique de lugdnunum Tome I lyon-Fourvière
Le 5 avril 2019 publication dans son intégralité du texte Destin de site, destin de vie du 7/06/2017
Le 02/08/2017
Voilà presque 40 jours après l’enfouissement de la capsule temporelle de Saint-Romain-en-Gal
Qui se sont écoulés
À la une « une mini-Pompéi Viennoise » découverte, un site exceptionnel à Sainte Colombe
Un presque trop plein de mosaïques soudain,
Qui iront rejoindre le musée de site de Saint-Romain-en-Gal
Et comme si cela ne suffisait pas une autre disparue depuis 1974,
Celle du Dieu Océan retrouvée viendra rejoindre la collection.
Il y a de ça cinquante ans c’était une autre découverte majeure
Celle du site de Saint-Romain-en-Gal,
L’archéologie a bien changé depuis, un délai supplémentaire de quelques mois
Accordé, pour cette dernière découverte, il n’est plus question de préservation,
De conservation, de réserve scientifique pour le futur
Le site sera détruit comme l’aura été celui du Verbe Incarné à Lyon,
Il est sans doute trop tôt pour le dire mais peut-être reconstruira-t-on à l’identique
Sous le musée cette maison dite des Bacchanales.
Voilà quelques mots supplémentaires, accompagnant le texte
Déposé dans la capsule, dont je livre ici quelques lignes de l’introduction
Et de la conclusion, en regard de trois images : passé, présent, futur
Texte dont l’intégralité ne sera révélée que dans cinquante ans
finalement, je n'aurai tenu que 611 jours en ce 05/04/2019
Destin de site, destin de vie 5/06/2017 pour le titre – 7/06/2017 pour le texte
D’aussi loin que je me souvienne
Des feuilles d’eau marquent de leur sceau mon souvenir,
De mes premiers pas d’archéologue,
Remontant le sillon du labour après le labeur
Dans le champ dit « des murailles » à Ormes,
Collectant tesselles, tessons et pâtes de verre,
Un premier temps ignorant de toute histoire.
L’arôme de la terre fraîchement retournée,
Une eau claire n’ayant cessé de couler
Depuis 2000 ans peut-être,
Dans des tuyaux de terre
Alimentant une menthe sauvage,
Que j’aime à retrouver, lorsque son parfum me frôle,
Tout ça me paraissait si loin, éteint…
Une première fouille de sauvetage au même lieu,
À l’aplomb de palplanches,
Pour un barrage sur la Saône,
Où s’entremêlent au bruit assourdissant du battage,
L’odeur de l’huile des machines et celle des cagettes de pêche
Jouxtant une première réserve d’objets
Amassés en quête d’un musée,
Si profondément souhaité.
Des hommes et des femmes tous bénévoles
En proie aux temps modernes,
Courbés sur une chaussée dont on ne connait plus l’issue
Cherchent à se raccrocher aux méandres
D’une frise chronologique par quelque vestige ténu.
Entre temps, une ascension,
Sur la colline de Fourvière à Lyon,
De grands panneaux surplombant
La rue des Farges, permis de construire, permis de démolir,
Restent gravés dans ma mémoire.
Au pied du théâtre et de l’odéon,
Un tas de pierre aux rebuts et un bloc mouluré que je pris en charge,
Le musée n’était pas encore construit.
Sur l’esplanade de la basilique
Une carte postale pour mes parents
Et une lumière si intense
Qu’elle éclaire encore ces lignes.
S’ensuivit une autre destination, le lendemain,
Prédestinée aux regards de mes années futures,
Sur le site de Vienne, quelque pas sur la voie romaine
Et encore quelques tesselles en viatique,
Nous n’avons pas traversé l’autre rive
Le site de Saint-Romain-en-Gal,
Était à peine découvert.
Puis s’enchaînent
Une première grande fouille
Une nécropole sur le site de la citadelle à Chalon sur Saône
Une fouille de sauvetage,
En plein hiver
Entre bancs d’école et urnes funéraires
À l’appui de petites figurines de terre blanche
Dont on me confia l’inventaire,
Et une première communication,
Une première épreuve d’écriture.
Des articles de presse conservés
Gardent le jalon de ce chemin retracé,
Quelque fierté et reconnaissance
Pour ceux qui m’ont accompagné, que je me dois de citer :
Louis Bonnamour chercheur infatigable par gué et par chemin de halage sur la Saône,
Jean-Bernard Devauges, concepteur et réalisateur de l’archéodrome.
« Votre futur métier plus tard », un concours
Vous devinez la profession choisie
Un prix et une lettre là aussi gardée de Jean Combier, préhistorien
Comme d’autres courriers dont l’entête
Ministère de la Culture de la Jeunesse et des Sports
M’enorgueillit,
Il fallait conserver la flamme malgré l’épreuve de la vie.
C’est cette même année où je reçus de mon père incarcéré
Un poème et une boite de peinture pour mes 16 ans.
Toujours bénévolement une formation extrascolaire
Se poursuivait sur d’autres sites :
Compierre Champallement, La pierre d’appel dans les Vosges,
Gournay sur Aronde, pour ce dernier une bourse pour l’encadrement des fouilleurs
Et tant de traces relevées et tant de souvenirs rattachés.
Combien d’allers retours entre la rue Philibert Guide et le domicile,
L’atelier de restauration, la permanence du mardi soir de la SHAC, le musée Denon
Où je travaillais, un puis deux étés, la première année à recopier
un inventaire à l’encre de chine
Scramasaxe, œnochoé, sigillée etc. de quoi se familiariser avec le vocabulaire
La seconde à la préparation d’une exposition : « Une rivière et des hommes »
Une collection dans l’attente là aussi d’un musée.
Puis, je mis fin à ma scolarité, épris de liberté
Avec ces bagages qui n’entrent pas dans les cases d’un cursus habituel
Les expériences aussi riches soient-elles
N’en élevaient pas plus mes notes à l’écrit.
La vie active s’imposait,
Le verdict d’un censeur par intérim
Me valut une belle peur
De par la superposition des termes
Vie active/ par intérim.
Il fut un temps question de réorientation
Pour un CAP photographie à Tours
Trop loin, trop coûteux pour ma mère
Selon l’avis d’une conseillère sûre de son diagnostic
Et tant de « peut-être » qu’il fallait être raisonnable.
Le monde du travail enfin
Avec une première fouille en Suisse, en terre fribourgeoise
Archéologie et Autoroute A1
Destins croisés
Les chantiers des années 80 et le monde en marche
En projection vers le futur
L’alidade tachéométrique
Pour le relevé du passé
Dont il fallait que j’apprenne à me servir.
Un concours de recrutement
De 2 OP2 archéologues fouilleurs pour le service culturel de la ville de Lyon,
L’archéologie se professionnalise.
Je manque de peu la marche,
L’orthographe me faisant défaut,
Il n’y a pas d’archéologie sans mots.
Le même jour revenant de l’examen,
Dans le magasin de presse,
La une de la revue Archéologia
« Scandale à Lyon au Verbe Incarné »
Je venais juste de passer le porche
De la congrégation en photo dans l’article,
Pour l’épreuve pratique.
Et c’est ainsi que débute véritablement
Ma carrière ou du moins mes carrés de fouille.
Un besoin urgent de main d’œuvre
Qui malgré l’absence de diplôme universitaire,
Me valut mon premier contrat,
De vacataire scientifique.
Je crois que je peux dire que je fis mes preuves,
Mon attachement au site
Et sa défense m’ouvraient les yeux
Sur les choix et les décisions politiques
Qui ne savaient que faire
D’engagement et de sentiment personnels.
Il y aurait beaucoup à dire
Sur ce site de 4 ha voué à la destruction
En plein cœur du Lyon antique
Élevé bien plus tard
Au rang mondial de l’Unesco.
Sans compter cette découverte
Dont enfin la paternité
Me fut reconnue noir sur blanc quelques années plus tard, par Bernard Mandy
Un fossé, puis deux qui n’en finissent pas de faire couler l’encre.
Est-ce le prix d’un musée, un tel sacrifice ?
L’histoire le dira peut-être un jour.
En tous cas véritable terrain d’expérimentation
L’archéologie urbaine en pleine expansion
En pleine explosion,
De nouvelles méthodes, de nouvelles approches
Stratigraphie, diagramme,
La saisie informatique qui se profile
Nous parlions même de la nouvelle archéologie,
En face des promoteurs et des conciliations
Inconciliables entre passé et présent
Avec des moyens et des engins redoutables
Que voulions-nous au juste ?
Nous n’étions que des rêveurs,
Partagés entre rigueur scientifique
Et mise à mal de nos terrains de jeux,
De recréation.
S’ensuivit la perte d’un enfant et trop de questionnement
Dont je fus sauvé par une seconde naissance et une nomination
Pour une fouille, là programmée dans le temps dirigée par Armand Desbat :
Saint-Romain-en-Gal.
Nous en fêtons les 50 ans de sa découverte
Et nous en espérons une nouvelle exhumation
Pour le demi-siècle à venir par cette capsule temporelle
Intemporelle, ces mots pour le futur
Et ce parallèle de destin,
D’une vie et d’un site
Que l’on espère immuable,
Protégé, respecté.
Un musée accompagne cette mission.
Je fus chargé des sondages préliminaires
À sa construction.
Sans doute trop lourd, trop angoissant
Il me fallait sauver,
Reconstituer ce qui avait été tranché,
Je ne cessais de descendre plus bas
Une folie, à plus de 7 mètres sans protection,
À vouloir descendre trop loin
On touche le fond
Et les limons si fins sont sans fin.
Cette volonté me valut
D’autres découvertes
Descendre plus bas que le terrain naturel
Une couche peut toujours en cacher une autre
La fosse aux gobelets d’aco, 5000 fragments
Dans la maison des dieux océans
En est une autre démonstration.
Le moment de la rédaction du rapport de fouille
Un moment inévitable
Le passage à l’écrit inexprimable
Me fut fatal
Sans compter un diplôme de l’EHESS en cours et sans fin
La naissance d’un troisième enfant
Je posais ma démission
Passant soudainement
De la profondeur des sondages
Au monde des boites aux lettres
Des cités HLM du monde contemporain
L’aveuglement ne tarda pas.
Quelque temps
Représentant pour Encyclopaedia Universalis,
La mort de mon père.
Je fis un dernier retour
Vers l’archéologie,
Quai Arloing à Lyon,
Terrassier pour me mettre du plomb dans la tête
Dixit le directeur, drôle de thérapie
Et un Dara où l’on reparle du fossé du Verbe Incarné
Au même moment en signature avec Christian Goudineau
Dans une librairie
« Aux origines de Lyon »
La boucle est bouclée
Je touche le rocher
Impossible d’aller plus loin.
Une proposition pour un autre chantier
Et un veto absolu
Me bloquèrent définitivement
Au propre comme au figuré.
Une dernière tentative avec les lettres
Avec l’ESEU et un retour sur le site de Saint Romain en Gal
Sans suite, non admis.
Je passais, définitivement ?
De l’archéologie à l’art qui est au logis
D’autres carrés de fouille
Sur toile, avec comme médium, la peinture.
Une ultime réconciliation avec l’exposition
« De pierre en pierre »
Au musée archéologique de Dijon
Grâce à Marie-Jeanne Lambert et Christian Vernou.
Mais là aussi et toujours
Beaucoup d’interrogations
L’art contemporain et son monde,
… Me voici encore à contre courant
Les contres écritures n’y feront rien
Qu’en restera t-il ?
Le monde va, les bouteilles ne suffisent plus
Les hommes se jettent à la mer sans elles
Qu’elle rejette ensuite sur les plages
En attendant que quelqu’un se baisse
Pour les recueillir
Comme un enfant qui ramasse
Un caillou au sol, une photo de Roger Agache*, je crois
Un caillou au sol, perle rare
Perlant et parlant de notre terre
Il y a tant de vies à sauver
Entre passé et futur
À conjuguer au présent,
Vestiges de notre humanité,
Vertige.
Merci à Laurence Brissaud et Jean-Luc Prisset pour cette parole libérée.
*in revue Dossiers de l’archéologie 1973 N°1 p 8