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Destin de site, destin de vie

5 Avril 2019 , Rédigé par Agnan KROICHVILI Publié dans #archéologie, #SaintRomainenGal, #SainteColombe, #Vienne, #Textes 2017, #VerbeIncarné, #Lyon, #textes 2019

 En mémoire du site "Verbe Incarné"

En mémoire du site "Verbe Incarné"

Il y a 30 ans sortait le 22 mars le livre "aux origines de Lyon" de Christian Goudineau † et de Bernard Mandy †, relatant les dernières découvertes des premières traces tangibles d'une occupation du site de Fourvière antérieure à l'occupation romaine dont pour une part j'en assume la paternité, le 28 mars de la même année retour en archéologie comme terrassier... le 10 septembre 1989 mon engagement en peinture.

Le 1er avril 2019 sortie publique " de l'archéologie à l'art qui est au logis", comme un poisson dans l'eau.
lien vers le livre / https://fr.calameo.com/read/0003615042cb810cfbafe

le 2 avril 2019 conférence aux archives de Lyon de Michel Lenoble à propos de l'atlas topographique de lugdnunum Tome I lyon-Fourvière

Le 5 avril 2019 publication dans son intégralité du texte Destin de site, destin de vie  du 7/06/2017 

2017 devant la capsule avant fermeture

2017 devant la capsule avant fermeture

Le 02/08/2017

Voilà presque 40 jours après l’enfouissement de la capsule temporelle de Saint-Romain-en-Gal

Qui se sont écoulés

À la une « une mini-Pompéi Viennoise »  découverte, un site exceptionnel à Sainte Colombe

Un presque trop plein de mosaïques soudain,

Qui iront rejoindre le musée de site de Saint-Romain-en-Gal

Et comme si cela ne suffisait pas une autre disparue depuis 1974,

Celle du Dieu Océan retrouvée viendra rejoindre la collection.

Il y a de ça cinquante ans c’était une autre découverte majeure

Celle du site de Saint-Romain-en-Gal,

 

1980 !

1980 !

L’archéologie a bien changé depuis, un délai supplémentaire de quelques mois

Accordé, pour cette dernière découverte, il n’est plus question de préservation,

De conservation, de réserve scientifique pour le futur

Le site sera détruit comme l’aura été celui du Verbe Incarné à Lyon,

Il est sans doute trop tôt pour le dire mais peut-être reconstruira-t-on à l’identique

Sous le musée cette maison dite des Bacchanales.

Voilà quelques mots supplémentaires, accompagnant le texte

Déposé dans la capsule, dont je livre ici quelques lignes de l’introduction

Et de la conclusion, en regard de trois images : passé, présent, futur

Texte dont l’intégralité ne sera révélée que dans cinquante ans
finalement, je n'aurai tenu que 611 jours en ce 05/04/2019

 

 

De longs discours

De longs discours

Destin de site, destin de vie                           5/06/2017 pour le titre – 7/06/2017 pour le texte

D’aussi loin que je me souvienne

Des feuilles d’eau marquent de leur sceau mon souvenir,

De mes premiers pas d’archéologue,

Remontant le sillon du labour après le labeur

Dans le champ dit « des murailles » à Ormes,

Collectant tesselles, tessons et pâtes de verre,

Un premier temps ignorant de toute histoire.

L’arôme de la terre fraîchement retournée,

Une eau claire n’ayant cessé de couler

Depuis 2000 ans peut-être,

Dans des tuyaux de terre

Alimentant une menthe sauvage,

Que j’aime à retrouver, lorsque son parfum me frôle,

Tout ça me paraissait si loin, éteint…

 

Destin de site, destin de vie
Destin de site, destin de vie

Une première fouille de sauvetage au même lieu,

À l’aplomb de palplanches,

Pour un barrage sur la Saône,

Où s’entremêlent au bruit assourdissant du battage,

 L’odeur de l’huile des machines et celle des cagettes de pêche

Jouxtant une première réserve d’objets

Amassés en quête d’un musée,

Si profondément souhaité.

Des hommes et des femmes tous bénévoles

En proie aux temps modernes,

Courbés sur une chaussée dont on ne connait plus l’issue

Cherchent à se raccrocher aux méandres

D’une frise chronologique par quelque vestige ténu.

Entre temps, une ascension,

Sur la colline de Fourvière à Lyon,

De grands panneaux surplombant

La rue des Farges, permis de construire, permis de démolir,

Restent gravés dans ma mémoire.

Au pied du théâtre et de l’odéon,

Un tas de pierre aux rebuts et un bloc mouluré que je pris en charge,

Le musée n’était pas encore construit.

Sur l’esplanade de la basilique

Une carte postale pour mes parents

Et une lumière si intense

Qu’elle éclaire encore ces lignes.

S’ensuivit une autre destination, le lendemain,

Prédestinée aux regards de mes années futures,

Sur le site de Vienne, quelque pas sur la voie romaine

Et encore quelques tesselles en viatique,

Nous n’avons pas traversé l’autre rive

Le site de Saint-Romain-en-Gal,

Était à peine découvert.

Puis s’enchaînent

Une première grande fouille

Une nécropole sur le site de la citadelle à Chalon sur Saône

Une fouille de sauvetage,

En plein hiver

Entre bancs d’école et urnes funéraires

À l’appui de petites figurines de terre blanche

Dont on me confia l’inventaire,

Et une première communication,

Une première épreuve d’écriture.

Des articles de presse conservés

Gardent le jalon de ce chemin retracé,

Quelque fierté et reconnaissance

Pour ceux qui m’ont accompagné, que je me dois de citer :

Louis Bonnamour chercheur infatigable par gué et par chemin de halage sur la Saône,

Jean-Bernard Devauges, concepteur et réalisateur de l’archéodrome.

« Votre futur métier plus tard », un concours

Vous devinez la profession choisie

Un prix et une lettre là aussi gardée de Jean Combier, préhistorien

Comme d’autres courriers dont l’entête

Ministère de la Culture de la Jeunesse et des Sports

M’enorgueillit,

Il fallait conserver la flamme malgré l’épreuve de la vie.

C’est cette même année où je reçus de mon père incarcéré

Un poème et une boite de peinture pour mes 16 ans.

Toujours bénévolement une formation extrascolaire

Se poursuivait sur d’autres sites :

Compierre Champallement, La pierre d’appel dans les Vosges,

Gournay sur Aronde, pour ce dernier une bourse pour l’encadrement des fouilleurs

Et tant de traces relevées et tant de souvenirs rattachés.

Combien d’allers retours entre la rue Philibert Guide et le domicile,

L’atelier de restauration, la permanence du mardi soir de la SHAC, le musée Denon

Où je travaillais, un puis deux étés, la première année à recopier

un inventaire à l’encre de chine

Scramasaxe, œnochoé, sigillée etc. de quoi se familiariser avec le vocabulaire

La seconde à la préparation d’une exposition : « Une rivière et des hommes »

Une collection dans l’attente là aussi d’un musée.

Puis, je mis fin à ma scolarité, épris de liberté

Avec ces bagages qui n’entrent pas dans les cases d’un cursus habituel

Les expériences aussi riches soient-elles

N’en élevaient pas plus mes notes à l’écrit.

La vie active s’imposait,

Le verdict d’un censeur par intérim

Me valut une belle peur

De par la superposition des termes

Vie active/ par intérim.

Il fut un temps question de réorientation

Pour un CAP photographie à Tours

Trop loin, trop coûteux pour ma mère

Selon l’avis d’une conseillère sûre de son diagnostic

Et tant de « peut-être » qu’il fallait être raisonnable.

Le monde du travail enfin

Avec une première fouille en Suisse, en terre fribourgeoise

Archéologie et Autoroute A1

Destins croisés

Les chantiers des années 80 et le monde en marche

En projection vers le futur

L’alidade tachéométrique

Pour le relevé du passé

Dont il fallait que j’apprenne à me servir.

Un concours de recrutement

De 2 OP2 archéologues fouilleurs pour le service culturel de la ville de Lyon,

L’archéologie se professionnalise.

Je manque de peu la marche,

L’orthographe me faisant défaut,

Il n’y a pas d’archéologie sans mots.

Le même jour revenant de l’examen,

Dans le magasin de presse,

La une de la revue Archéologia

« Scandale à Lyon au Verbe Incarné »

Je venais juste de passer le porche

De la congrégation en photo dans l’article,

Pour l’épreuve pratique.

Et c’est ainsi que débute véritablement

Ma carrière ou du moins mes carrés de fouille.

Un besoin urgent de main d’œuvre

Qui malgré l’absence de diplôme universitaire,

Me valut mon premier contrat,

De vacataire scientifique.

Je crois que je peux dire que je fis mes preuves,

Mon attachement au site

Et sa défense m’ouvraient les yeux

Sur les choix et les décisions politiques

Qui ne savaient que faire

D’engagement et de sentiment personnels.

Il y aurait beaucoup à dire

Sur ce site de 4 ha voué à la destruction

En plein cœur du Lyon antique

Élevé bien plus tard

Au rang mondial de l’Unesco.

Sans compter cette découverte

Dont enfin la paternité

Me fut reconnue noir sur blanc quelques années plus tard, par Bernard Mandy

Un fossé, puis deux qui n’en finissent pas de faire couler l’encre.

Est-ce le prix d’un musée, un tel sacrifice ?

L’histoire le dira peut-être un jour.

En tous cas véritable terrain d’expérimentation

L’archéologie urbaine en pleine expansion

En pleine explosion,

De nouvelles méthodes, de nouvelles approches

Stratigraphie, diagramme,

La saisie informatique qui se profile

Nous parlions même de la nouvelle archéologie,

En face des promoteurs et des conciliations

Inconciliables entre passé et présent

Avec des moyens et des engins redoutables

Que voulions-nous au juste ?

Nous n’étions que des rêveurs,

Partagés entre rigueur scientifique

Et mise à mal de nos terrains de jeux,

De recréation.

S’ensuivit la perte d’un enfant et trop de questionnement

Dont je fus sauvé par une seconde naissance et une nomination

Pour une fouille, là programmée dans le temps dirigée par Armand Desbat :

Saint-Romain-en-Gal.

Nous en fêtons les 50 ans de sa découverte

Et nous en espérons une nouvelle exhumation

Pour le demi-siècle à venir par cette capsule temporelle

Intemporelle, ces mots pour le futur

Et ce parallèle de destin,

D’une vie et d’un site

Que l’on espère immuable,

Protégé, respecté.

Un musée accompagne cette mission.

Je fus chargé des sondages préliminaires

À sa construction.

Sans doute trop lourd, trop angoissant

Il me fallait sauver,

Reconstituer ce qui avait été tranché,

Je ne cessais de descendre plus bas

Une folie, à plus de 7 mètres sans protection,

À vouloir descendre trop loin

On touche le fond

Et les limons si fins sont sans fin.

Cette  volonté me valut

D’autres  découvertes

Descendre plus bas que le terrain naturel

Une couche peut toujours en cacher une autre

La fosse aux gobelets d’aco, 5000 fragments

Dans la maison des dieux océans

En est une autre démonstration.

Le moment de la rédaction du rapport de fouille

Un moment inévitable

Le passage à l’écrit inexprimable

Me fut fatal

Sans compter un diplôme de l’EHESS en cours et sans fin

La naissance d’un troisième enfant

Je posais ma démission

Passant soudainement

De la profondeur des sondages

Au monde des boites aux lettres

Des cités HLM du monde contemporain

L’aveuglement ne tarda pas.

Quelque temps

Représentant pour Encyclopaedia Universalis,

La mort de mon père.

Je fis un dernier retour

Vers l’archéologie,

Quai Arloing à Lyon,

Terrassier pour me mettre du plomb dans la tête

Dixit le directeur, drôle de thérapie

Et un Dara où l’on reparle du fossé du Verbe Incarné

Au même moment en signature avec Christian Goudineau

Dans une librairie

« Aux origines de Lyon »

La boucle est bouclée

Je touche le rocher

Impossible d’aller plus loin.

Une proposition pour un autre chantier

Et un veto absolu

Me bloquèrent définitivement

Au propre comme au figuré.

Une dernière tentative avec les lettres

Avec l’ESEU et un retour sur le site de Saint Romain en Gal

Sans suite, non admis.

Je passais, définitivement ?

De l’archéologie à  l’art qui est au logis

D’autres carrés de fouille

Sur toile, avec comme médium, la peinture.

Une ultime réconciliation avec l’exposition

« De pierre en pierre »

Au musée archéologique de Dijon

Grâce à Marie-Jeanne Lambert et Christian Vernou.

Mais là aussi et toujours

Beaucoup d’interrogations

L’art contemporain et son monde,

… Me voici encore à contre courant

Les contres écritures n’y feront rien

Qu’en restera t-il ?

Le monde va, les bouteilles ne suffisent plus

Les hommes se jettent à la mer sans elles

Qu’elle rejette ensuite sur les plages

En attendant que quelqu’un se baisse

Pour les recueillir

Comme un enfant qui ramasse

Un caillou au sol, une photo de Roger Agache*, je crois

Un caillou au sol, perle rare

Perlant et parlant de notre terre

Il y a tant de vies à sauver

Entre passé et futur

À conjuguer au présent,

Vestiges de notre humanité,

Vertige.

 

Merci à Laurence Brissaud et Jean-Luc Prisset pour cette parole libérée.

 

*in revue Dossiers de l’archéologie 1973 N°1 p 8

Dans le cercle d'une hutte préhistorique, un enfant...

Dans le cercle d'une hutte préhistorique, un enfant...

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